Poglus ; Yända'tsa’
Alexis Gros-Louis
Du 07 mars au 20 avril 2025
Vernissage le 07 mars à 17h
Au printemps 2025 chez Ahkwayaonhkeh, Alexis Gros-Louis présente aux visiteurs une expérience énigmatique conceptuelle et minimaliste. Pour l’essentiel, il a recouvert en entier le plancher de la galerie par des céramiques en terre cuite carrelées, et fixé au mur une photographie d’une plante. Le spectateur n’a d’autre choix que de piétiner l’œuvre, cette terre d’argile étant le matériau de la part de son dispositif sculptural-architectural afin de s’approcher de l’image. Donc de marcher sur Yända’tsa’ à voir le Poglus, une plante médicinale en usage notamment chez les Wendat.
L’économie des moyens, l’invisibilité des étapes de production et le peu d’informations mis en espace par Gros-Louis, ramènent au-devant de la scène artistique le propre de l’art conceptuel et minimal mis de l’avant dans les années 1960. Tout comme à l’époque de « la dématérialisation de l’objet d’art », soixante-dix après, il y a nécessité d’une prise de parole, d’une explication de critique d’art. Que voilà une proposition actuelle comme art autochtone fort éloignée du lyrisme visuel civilisationnel de la poterie d’argile, ou d’une herbe aux propriétés immunitaires, deux mondes des usages coutumiers des Wendats. L’énigmatique mode de monstration de Gros-Louis cache un renvoi à des savoirs, des savoir-faire et même de savoir-vivre ensemble « ensauvagés » et à des questionnements quant à l’évolution standardisée de nos sociétés. Poglus. Yända’tsa’, libèrerait un style hors de toute emprise archéologique, anthropologique et historique, parce que de l’ordre de l’art autochtone aujourd’hui.
Du territoire matériau
L’interstice formelle des lignes du carrelage et le matériau qu’est la terre cuite d’argile (Terra Cota) recouvrant le plancher contemporain devient céramique. Paradoxalement cette facture formelle et matérielle minimale s’y fait agrandissement au bénéfice d’une prise en compte non seulement des motifs coutumiers comme formes actualisées d’art autochtone, mais surtout la prise de conscience qui va avec, notamment du côté mouvements sociaux et culturels tels que l’art vert, l’art écologique et même de revitalisation des langues autochtones. Ce que j’appelle les quadrillages et franges incisées.
À mon regard de critique d’art Wendat, ce quadrillage agrandi et l’usage de cette terre d’argile pourraient nous ramener quelques centaines d’années avant. Alors ce style de motifs, combinant des traits en franges par des incisions groupés, « signaient » l’identité des usages coutumiers Wendat et même d’échanges commerciaux entre Premières Nations et d’ornementation des modes de communications avec les allochtones. On retrouvait en effet ces motifs via les poteries en terres cuites d’argile, les jupes à rubans, certaines scarifications (tatous), sur les peaux de chevreuils et de caribous tannées par dont certaines ont servi de reliures aux premières grammaires et dictionnaires wendat-français, chez les missionnaires jésuites.
Très longtemps l’objet d’études et de propos de l’Autre, l’archéologue, l’anthropologue, le botaniste, le pharmacien, l’historien conscrits dans les antres de la culture matérielle comme un passé révolu, voici que de manière à peine perceptible sous l’effacement fonctionnel et standardisé d’un lieu d’art une vision artistique les ravive. Pour peu que l’on conçoive le carrelage du plancher en terre cuite d’argile comme un agrandissement des quadrillages, une texture parente nommée par un mot en langue wendat (Yända’tsa’) surgit dans la galerie à la fois un devoir de mémoire et de conservation vers des types autochtones de savoirs et de savoir-faire. L’insertion de seul mot, fidèle à l’approche minimale de Gros-Louis participe comme l’on fait depuis un demi-siècle bien des artistes autochtones à l’actuel mouvement de revitalisation des langues autochtones, dont le wendat qui était en dormance depuis un siècle. L’image d’une tige de Poglus, elle, nous introduit à la précarité du monde des plantes médicinales autochtones contre des dangers d’effacement et d’éradication que soulignent symboliquement par exemple, l’obligation de piétiner l’argile pour mieux voir l’image.
De la connaissance et du bon usage en péril des plantes médicinales : le Poglus
À part quelques botanistes et expert.e.s en plantes médicinales autochtones dont quelques Wendats (Hurons), à peu près personne ne connait le Poglus ou berce laineuse, d’une part, et la confusion formelle qui la fait ressembler à une plante envahissante et toxique, la berce du Caucase ou berce géante. La ressemblance peut-être source de méprise, d’erreur même motivée par une bonne intention. Tout est affaire de connaissances, d’observations mais aussi de communication inter cultures, inter nations. C’est le cas pour deux plantes qui se ressemblent. Le Poglus est une plante courante en Amérique du Nord-Est aux propriétés médicinales contre la grippe et autres virus pulmonaires. Son usage ici par les Wendat a été répertoriée dans la Florentienne. Utilisée avec des succès de prévention de façon continue et que confirment plusieurs récits selon les époques. Aujourd’hui la cueillette du Poglus est gravement en péril. La colonisation des Amériques n’a pas seulement amené la mondialisation microbienne, les guerres coloniales mais aussi la mondialisation envahissante et toxique de plantes exotiques. Tous ces chocs de civilisation ont contribué au déclin démographique, aux bris des alliances et à l’acculturation de biens des traits des civilisations autochtones, dont les plantes et savoirs des médecines naturelles. C’est le cas qu’introduit l’image d’une simple tige de Gros-Louis. En effet, l’introduction en 1990, pour des raisons horticoles comme plante ornementale de jardin venant du sud-ouest de l’Asie de la berce du Caucase à la ressemblance inouïe avec le Poglus est, en 2025 sa menace d’extinction. Pourquoi ? Eh bien parce que la berce du Caucase est comprise en 2025 comme une plante vivace envahissante et toxique tant pour les autres plantes que pour la peau humaine. Son éradication à grande échelle est devenue un objectif le long des berges des cours d’eau, des fossés, des chemins de fer, des routes, dans les prés et dans les terrains vagues. L’indissociation entre les deux fait que le Poglus est presque disparu pour sa récole par les Wendat à l’automne, rendant la transmission intergénérationnelle en péril.
Au sortir de la galerie aux modifications minimales par l’artiste, c’est plutôt avec une conscientisation maximale comme devoir de mémoire et d’art vert que l’on en sort.
1. C’est ce que permet de voir l’exposition virtuelle 360 degrés Ahchiouta’a raconte les Hurons-Wendat du Saint-Laurent au Musée huron-wendat.
2. Marie-Paule Robitaille, « Les mystères d’un dictionnaire français/wendat », dans Nouvelle-France, Histoire et patrimoine, No.2 (automne 2020), p. 57-66
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Guy Sioui Durand
Wendat (Huron) originaire de Wendake, Guy Sioui Durand est membre du clan du Loup. Sociologue (PH.D.), critique d’art, commissaire indépendant, conférencier de renom et performeur, Sioui crée aussi des harangues performées exprimant l’oralité. Il porte son regard sur l’art autochtone et l’art actuel. D’un côté, il met l’accent sur la décolonisation des esprits par le (ré)ensauvagement de nos imaginaires et le renouvellement des relations. De l’autre, il se dit qu’il faut changer le monde par l’art, et l’art par l’art autochtone vivant pour peu que le spectaculaire s’oppose au spectacle. Commissaire indépendant Guy Sioui Durand a conçu et réalisé de plus d’une vingtaine d’événements et d’expositions d’art autochtone et actuel depuis 1994. En 2023, il participe à l’événement Yandhawa, une alliance qui mènera à la mise sur pied du centre d’artistes Wendat Ahkwayahonkeh. Il fait partie du comité de programmation. (www.siouidurand.org)
Alexis Gros-Louis est un artiste wendat qui associe différentes techniques pour explorer la matérialité des images et faire dialoguer objets, espaces et spectateurs. Il s'intéresse particulièrement aux notions de cultures normatives et dominantes. Son travail a été présenté au Québec, en Nouvelle-Écosse, en Suède et en Allemagne. Diplômé de l'Université Concordia et du Nova Scotia College of Art and Design, il poursuit un doctorat à l'Université Western.